logo

Ant(h)ropique

Anthropocène est le nom de l’époque géologique actuelle. Le mot signifie que l’être humain est devenu une force capable de dépasser les facteurs naturels  qui régissent l’équilibre des écosystèmes terrestres. On parle de force anthropique, c’est à dire de force “due à l’activité humaine”. Beaucoup d’attention se concentre actuellement sur les changements climatiques potentiellement destructeurs de la planète. Il y a en fait sept autres limites planétaires, malmenées par l’activité humaine, qui peuvent détruire complètement la vie sur terre. Cependant, deux sont cruciales car elles peuvent à elles seules faire basculer tout le système: ce sont le climat et la biodiversité. On considère de plus en plus que l’homme n’est pas au sommet de la «création», mais représente un élément de la nature parmi d’autres, avec lesquels il doit entretenir un équilibre respectueux sous peine de disparaître avec elle. 

D’autres sociétés que la société dite occidentale l’ont compris depuis longtemps. Nous devons faire société ensemble, entre humains et avec tous les êtres vivants. 

Nous devons interroger notre rapport au monde animal et comprendre:

– la fragilité des espèces dont certaines nous semblent invincibles de part leur stature ou leurs capacités physiques,

– que cela se passe même sur un continent non occidental où la vie sauvage en abondance était considérée comme un fait définitivement acquis, 

– que leur avenir et le nôtre sont liés, car nous partageons un même territoire, la planète Terre.

 

Anthropique/Antropique. Quels mots bizarres! Le deuxième n’existe pas jusqu’à l’instant, je viens de le créer. Visiblement, la suppression du “h” joue un rôle. J’y reviendrai.

J’ai fait des photos d’animaux sauvages, de simples portraits, pour témoigner de leur vulnérabilité. 

Des photographes comme Nick Brandt en ont fait des grandioses, très belles, souvent majestueuses, en Noir et Blanc. Dans une facture qui rappelle les vieux portraits d’antan, Brandt a mis en regard cette beauté “sculpturale” avec la fragilité de cette population appelée à disparaître.

 J’ai voulu apporter ma pierre à l’édifice. J’ai pensé comme Brandt intervenir sur l’esthétique des images, j’ai envisagé d’utiliser un modèle de téléobjectif assez ancien, dit catadioptrique. Mais les images produites m’en ont dissuadé, par manque de qualité. J’ai eu alors l’idée de travailler plus sur l’interprétation de la photographie et de son support pour illustrer mon propos. 

Je me suis permis de prendre des photos presque “banales”, d’éviter les scènes sauvages et les paysages grandioses, de saisir simplement des regards, des attitudes. En parcourant livres et sites web, une couleur revenait sans cesse, le rouge brun, ocre, ce brun rougeoyant de la savane dans lequel se confondent certains pelages d’animaux, cette fameuse couleur du bois d’acajou d’Afrique… C’était décidé, la prise de vue elle-même  serait complétée par une mise en scène sous forme d’une métaphore par la couleur, une référence historique à la peinture et au dessin.

La couleur de l’Afrique, c’est la couleur de la Sanguine, ce style de dessin auquel se sont consacrés plusieurs grands peintres comme De Vinci, Rembrandt, Ingres, Fragonard, Poussin et d’autres. Apparue à la Renaissance, la Sanguine a connu son apogée au 18e siècle puis a subi un net déclin. Impossible de ne pas faire le parallèle avec l’évolution de la population animale sauvage. À partir de là, la Sanguine avait un double intérêt, sa couleur et son évolution. 

Mais, transformer une photographie en Sanguine, tout en restant visuellement une photographie, sans la transformer en dessin ni verser dans une caricature de postproduction, c’est une entreprise compliquée, et très délicate. J’espère avoir réussi…

En même temps, j’ai limité le paysage à sa plus simple expression, pas seulement pour mettre en valeur les animaux, mais surtout comme symbole d’une nature fragile qui se dégrade peu à peu, et j’ai adopté un format carré, qui n’existait pas à la Renaissance ou au 18e siècle, de façon à ancrer les images dans l’époque actuelle. 

J’ajoute que parmi les photographies, il y en a une, sans préciser laquelle, que j’ai produite par synthèse. Au rythme où va la grande extinction, c’est peut être tout ce qu’il nous restera quand cette population aura complètement disparu, d’ici quelques années seulement. La glisser parmi les autres montre à quel point la réalité d’aujourd’hui est fragile. Pour accentuer ce sentiment de fragilité, j’imprime mes photographies sur un papier japonais spécial de chez Awagami. Il est de type Washi, fait à partir de murier à papier (Kozo), double couche, dont on sépare les deux couches après impression. Un papier photo haut de gamme pèse habituellement environ 300g/m2. Ici le papier double couche ne pèse au départ que 96g/m2, et le grammage final de la couche imprimée est de 30g/m2. Cela signifie qu’il est très fin et que la lumière peut passer au travers.

Si “anthropique” relève de l’influence de l’homme sur la nature, “antropique” se voudrait insister sur l’influence de la nature (ici tropicale) sur l’homme dans une volonté d’équilibre, y compris jusque dans le mot lui-même. Au passage, le”h” humain s’est effacé devant la nature. La nature reprend ses droits.

In Portfolios